Billets doux
septembre 2020
Val-de-Reuil (76) / Résidence à la Factorie, Maison de poésie de Normandie
Une bête idée, une idée-cadeau ou révolutionnaire, c’est toi qui vois. Tu prends la somme de ta résidence d’écriture en maison de poésie, tu la divises par deux, tu reçois cinquante billets de dix euro sur chacun desquels tu frappes trois ou quatre lignes à la machine et tu les distribues à la soirée de présentation de saison de la structure qui t’accueille. Sans discours tu les donnes un par tête et dans ta tête, tu changes des billets de banque en billets doux, ou le nerf de la guerre en air d’amour, allez tous bien vous faire des bulles. Il y a celui qui le déchire en pensant que c’est un faux, celui que tu retrouves abandonné sous un cendrier en partant, celle qui pense qu’effectivement, ça n’est que du papier, ceux qui veulent l’encadrer, ceux qui le glissent dans la protection transparente de leur téléphone en le pliant pour laisser apparaître le texte et celui qui dit que ça, il faut réfléchir, pour vraiment savoir quoi en faire. En son temps, Savinien de Cyrano, dit de Bergerac, imagina une Histoire Comique des États et Empires de la Lune où les transactions se payaient en sonnets et autres formes trébuchantes. Et plus tard, après l’action directe, lisant La Bataille d’Occident d’Éric Vuillard, tu tombes sur un passage absolument parfait, parfaitement ironique : « Les billets sont de petits mots doux que les chefs d’États et les banquiers envoient par centaines de milliers aux peuples par amour. » Argent, art gens.